Coup de théâtre dans l'affaire qui oppose les apiculteurs aux fabricants du pesticide Regent TS, Bayer et BASF. Le tribunal correctionnel de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) a condamné les producteurs de phytosanitaires à des amendes de 500 à 5000 euros, notamment pour « mise en vente de produits toxiques pour la santé ».
La justice a finalement tranché en faveur des défenseurs de l'environnement.
Jeudi 20 novembre, le tribunal correctionnel de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) a rendu son jugement dans le procès des géants de la chimie Bayer Crop et BASF Agro. Les deux groupes ont été condamnés à des amendes allant de 500 à 5000 euros, pour avoir produit et vendu le pesticide Regent, accusé d'être à l'origine de la surmortalité des abeilles. Les sommes sont symboliques mais la condamnation est pleine de sens pour les organisations qui se sont portées parties civiles, notamment l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), l'Union française des consommateurs (UFC - Que choisir) et France nature environnement (FNE). Le tribunal a condamné Bayer, BASF ainsi que des revendeurs de produits phytosanitaires pour « mise en vente de produits toxiques pour la santé », « défaut d'agrément pour la vente de pesticides » et « défaut d'autorisation de mise sur le marché ».
« Insecticide utilisé en traitement des semences pour la protection des cultures de maïs et de tournesol contre le taupin, un ravageur souterrain, » telle est la description du Régent donnée par BASF qui précise : « Il ne présente aucun danger pour l'homme et l'environnement. » Pourtant dès 2003, de premières études impliquent le fipronil, substance active du Regent, dans la surmortalité d'abeilles. En février 2004, BASF Agro qui commercialise le Regent et son PDG Emmanuel Butstraen étaient mis en examen pour « mise en vente de produits agricoles toxiques nuisibles à la santé de l'homme et de l'animal ». Une décision qui concernera pour les mêmes raisons, la firme Bayer Crop ancien propriétaire du Regent.
Après plusieurs mois et semaines de batailles d'experts, le procureur Claude Derens avait finalement requis un non-lieu en faveur des firmes chimiques et de leurs dirigeants, en juillet 2008. « A l'issue des très nombreuses expertises acquises au dossier, il n'était pas envisageable d'affirmer un lien incontestable entre l'utilisation du fipronil dans l'enrobage des semences et les surmortalités des abeilles constatées à l'occasion des campagnes 2002 et 2003 », estimait-t-il alors dans les réquisitions transmises aux avocats des différentes parties. Le procureur s'était appuyé principalement sur un rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) d'avril dernier qui révélait « qu'il n'y a aucune relation entre la présence de fipronil et celle des abeilles adultes et larvaires. »
L'UNAF a exprimé « sa réprobation devant des réquisitions aussi caricaturales qui survolent à peine quelques points du dossier sans en traiter aucun, et qui donnent une idée consternante de l'impuissance judiciaire de notre pays face aux graves problèmes environnementaux de notre temps. » A contrario, BASF se félicite de cette décision puisque ces réquisitions « confortent la non-responsabilité du Régent TS dans les mortalités d'abeilles. » A ce jour, le Regent TS est toujours interdit de commercialisation en France suite à la décision qu'avait prise Hervé Gaymard alors ministre de l'Agriculture en 2004, tandis qu'il est autorisé en Europe. L'affaire est en attente désormais d'une décision de la juge d'instruction : soit confirmer ce non-lieu, soit un renvoi en correctionnelle.
Alors que BASF privilégie les pistes du manque de biodiversité et du rôle primordial des parasites -en accord sur ce point avec certains apiculteurs- pour expliquer la surmortalité des abeilles, il faut souligner que, dans son rapport, sur lequel le procureur Claude Derens a appuyé son réquisitoire, l'Afssa invitait à tenir compte du « très petit nombre d'observations » qui avait servi à l'étude, en l'occurrence 120 colonies d'abeilles domestiques. En outre, en février dernier, le ministère de l'Agriculture rendait public un rapport du Comité Scientifique et Technique (CST) de l'Etude Multifactorielle des Troubles des Abeilles, selon lequel le fipronil ferait courir « des risques inacceptables » aux abeilles. A l'époque, pour le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures, « ce rapport montre clairement la dangerosité inhérente à ces insecticides systémiques en enrobage de semences et souligne toute l'absurdité de l'homologation récente de l'insecticide Cruiser. »
Si le réquisitoire du procureur de Saint-Gaudens met hors de cause le fipronil, l'implication des pesticides dans la surmortalité des abeilles est loin d'être écartée. En effet, la récente décision de l'Allemagne de suspendre l'autorisation de l'insecticide Cruiser, produit de la société Syngenta, relance le débat. Le Bureau fédéral pour la protection des consommateurs et la sécurité alimentaire (BVL) a choisi le principe de précaution, suite à un examen des faits concernant les dommages importants sur les abeilles du sud-ouest de l'Allemagne et mettant en cause certaines techniques de semis.
Il est vraisemblable aux yeux de certains experts que ce soit la conjonction de plusieurs facteurs -pesticides, champignon pathogènes et acarien- qui explique la disparition des abeilles particulièrement nécessaires à l'équilibre écologique. Auquel cas, on n'établira peut-être jamais de lien de causalité certain et indiscutable entre la présence d'un pesticide et de la disparition des abeilles. C'est alors le principe de précaution qui peut venir au secours de l'environnement plutôt que la décision de justice.
Source www.novethic.fr