
Dans la dernière année, peu d'événements à gauche furent porteurs de nouveautés accrocheuses. Il y a eu la création du NPA, avec son flot de nouveaux militants et les promesses d'une nouvelle ligne -certes radicale mais rompant avec l'idée de la révolution-, dont on voit aujourd'hui retomber bien vite l'attraction.
Il y a eu dans une moindre mesure la création d'un Front de gauche finalement réduit, qui pourrait dessiner les contours d'une gauche « communiste républicaine ».
Il y a eu aussi, même si on l'a très vite oublié, les 20% de la motion de Benoît Hamon au congrès de Reims, qui auraient pu mener un PS confronté à l'impasse de la « troisième voie », vers un changement d'orientation sociale démocrate.
Et puis il y a eu Europe Ecologie, dont les très bons résultats à l'élection européenne vinrent clore cette période difficile pour la gauche.
Finalement, sans crier gare, ce rassemblement, qui en avait fait douter plus d'un , a créé la surprise, mettant un coup d'arrêt aux tentatives hégémoniques du PS et rappelant à la gauche radicale qu'il faudra aussi compter à l'avenir avec le camp écolo. Car si on cherche ici ou là depuis des mois à refonder de la gauche, beaucoup avaient volontairement mis de côté la légitimité et la capacité des écolos à prendre part à la démarche. C'est pourtant sa volonté à y participer dans les mois à venir qui pourrait permettre de voir se dessiner une alternative sérieuse à la social-démocratie(-libérale) vendue par le PS à qui veut.
Certes, il est impossible d'oublier que dans ces dernières élections, six électeurs sur dix ne sont pas allés voter. Les taux d'abstention aux législatives de 2007 et aux municipales de 2008 laissaient déjà entrevoir que la participation historique à la présidentielle n'était qu'une parenthèse. Le jour où ces électeurs se remettront à voter, les résultats pourraient en être totalement modifiés. Mais rien ne dit que les voies abstentionnistes iraient directement vers les partis dits « majoritaires ».
Europe Écologie a gagné une partie de la bataille des idées en partant en campagne tôt, en affichant un pragmatisme et des possibles face à la crise actuelle. Et a peut-être clôt cette longue phase du vote socialiste « par défaut », dont la dernière expression aux municipales avait été terrible pour les Verts.
Europe Ecologie a aussi sans le savoir répondu en partie à cette profonde interrogation qui traverse la gauche radicale quant à la forme « parti ». Sans pouvoir dire si ce modèle peut perdurer, la création d'une structure ad hoc - alliant militants politiques et associatifs ; mêlant méthodes de propagande classique à celles de l'agit prop et de l'activisme ; ouvrant dans une certaine mesure, une plus grande liberté de parole et d'élaboration du discours - a semble-t-il séduit. Ou en tout cas, n'a pas servi de repoussoir. Même si la victoire emportée doit beaucoup au génie politique de leaders incontestés, à la découverte de nouveaux, de la présence sur ces listes d'eurodéputés aguerris et de militants prêts à rejoindre la bataille parlementaire.
De très nombreuses questions restent néanmoins en suspens si ce rassemblement prometteur veut avancer.
Parmi elles, certaines mériteraient d'être rapidement abordées. Les attaques répétées venant du camp de la gauche radicale et d'une partie des Verts sur l'absence d'un programme « social » dans le contrat écologique d'Europe Ecologie est la preuve que, -la mauvaise foi escomptée-, la bataille des idées est quand même loin d'être gagnée. La proposition d'un bouclier social européen, la création de 10 millions d'emplois en 10 ans ou la réduction du temps de travail sans perte de salaire ne semblent pas suffisant pour convaincre de la ligne politique du mouvement...
L'une des questions posées à Europe Ecologie est finalement celle du maintien d'un système néolibéral : l'écologie politique est-elle soluble dans le capitalisme ? Peut-elle s'en accommoder ? Les réponses apportées pourraient être une première étape pour rassurer (ou non) sur l'ancrage à gauche de ce futur mouvement écolo.
Un autre défi est celui du prolongement du rassemblement, dans le contexte électoral des régionales, qui constitue en soi encore une possibilité de fragilité. Dany Cohn-Bendit avait prédit des larmes pour la désignation des listes européennes. Qu'est-ce qui assure que le processus des régionales se passera calmement quand ci et là, on voit déjà les anciennes et actuelles rivalités au sein des Verts s'exprimer. Surtout que dans un contexte d'ouverture au mouvement associatif, il faudra bien accepter de « faire de la place » aux nouveaux venus. Une équation difficile à résoudre tant les appétits sont grands et (parfois) légitimes.
Reste aussi la question majeure de la participation de ce rassemblement au mouvement social, porteur d'une multitude d'enjeux, de personnalités et de méthodes politiques. Si les Verts ont une longue histoire partagée avec une partie du mouvement social, la distance consommée avec les syndicats rend les choses complexes sur le long terme. Car la remise en cause en profondeur du productivisme ne pourra pas se faire sans un travail de long haleine avec eux, pour envisager par exemple une reconversion acceptable de l'industrie automobile.
D'autant plus que la classe ouvrière et la classe des précaires -et leurs histoires-, n'appartiennent pas à la gauche radicale et l'extrême gauche. Et si ce mouvement écolo ne va pas à sa conquête, cela signifierait de se passer de celles et ceux qui seront prioritairement bénéficiaires des propositions défendues par Europe Écologie.
Cela fait beaucoup de défis à relever pour un jeune mouvement d'à peine six mois... Mais le moment est peut-être historique. Surtout, les très bons scores obtenus par l'UMP et le maintien de sa politique néolibérale fortement destructive et inégalitaire, obligent à une très forte responsabilité. Si Europe Ecologie a su créer des possibles, reste à savoir si la sphère écolo saura s'en saisir, et comment.
Emmanuelle Cosse sur http://ecolosphere.net