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Après la parution du décret «relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans», Christophe Najdovski, adjoint (Vert) au maire de Paris chargé de la petite enfance, dénonce le choix fait par le gouvernement d'un accueil au rabais.

 

 

Avec la parution, lundi 7 juin, du décret dit «Morano» «relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans», le gouvernement poursuit son entreprise de déréglementation et de déqualification du secteur de la petite enfance, au moment même où de nombreuses voix se font entendre pour souligner l'enjeu éducatif, social et même économique de l'accueil des jeunes enfants dès les premières années de la vie.

 


Le gouvernement est donc resté sourd au vaste mouvement de protestation de ces derniers mois, inédit dans ce secteur, qui a rassemblé des professionnels (puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducateurs/trices de jeunes enfants, psychologues...), des élus, des représentants d'associations professionnelles et des collectivités, des chercheurs et des parents. Des dizaines de milliers de personnes se sont ainsi mobilisées, dans toute la France, avec une certaine idée de l'intérêt des enfants et de l'intérêt général, pour tenter d'enrayer la détérioration programmée des conditions de travail et d'accueil dans les établissements.

 


Une politique au rabais : déqualification et déréglementation

 

Après les déclarations tonitruantes, aujourd'hui enterrées, du président de la République sur l'instauration d'un droit de garde opposable, la baisse des normes d'accueil est donc le moyen paresseux et pernicieux qu'a trouvé le gouvernement pour multiplier des places, comme on multiplie les petits pains, des places au rabais qui introduisent la logique «low cost» dans les établissements d'accueil des jeunes enfants. Ce décret va en effet permettre un accueil en surnombre des enfants jusqu'à 120% de la capacité de l'établissement. Ce surbooking ne manquera pas d'accentuer la pression sur les personnels, tandis que les enfants seront priés de se serrer comme des sardines.

 


De plus, plutôt que de se donner véritablement les moyens de répondre à l'absurde pénurie de personnels formés aux différents métiers de la petite enfance, le décret revoit les exigences de qualification des personnels à la baisse (la part obligatoire de personnels qualifiés dans les crèches et haltes garderies passera de 50 % à 40 %). Enfin, de nouvelles structures appelées jardins d'éveil sont créées : ouvertes aux enfants entre 2 et 4 ans, l'encadrement y sera moindre que dans les crèches (1 adultes pour 12 enfants contre 1 adulte pour 8 enfants) et elles seront payantes, alors que les écoles maternelles sont gratuites.

 


Mais ce décret n'est pas un acte isolé, d'autres mesures gouvernementales procèdent de cette même logique d'abaissement des normes de qualité. L'accueil à domicile n'est pas en reste. Citons la décision prise en décembre 2008 (1) de permettre aux assistantes maternelles d'accueillir simultanément à leur domicile jusqu'à 4 enfants et non plus 3 enfants maximum –la sécurité des enfants est là clairement mise à mal, notamment lors des déplacements à l'extérieur en milieu urbain– et la loi qui vient d'être adoptée portant création de maisons d'assistantes maternelles (2), permettant à plusieurs assistantes maternelles, jusqu'à quatre, d'accueillir jusqu'à 16 enfants, sans projet collectif ni encadrement spécifique, à la différence de tous les modes d'accueil collectif existants.

 


Le tableau ne serait pas complet si on n'y ajoutait le refus du gouvernement, en janvier 2010, d'exclure le secteur de la petite enfance du champ de la directive européenne sur les services qui doit être transposée dans le droit national pour instaurer une mise en concurrence dans le domaine des services. Là aussi, le gouvernement est resté sourd à la vaste mobilisation des professionnels, des associations et des collectivités locales qui demandaient de protéger le secteur de la petite enfance, au même titre que le service d'éducation.

 


L'ensemble de ces mesures concrétise la volonté gouvernementale de créer des places au rabais en sacrifiant la qualité de l'accueil et en transférant une partie de la charge financière vers les familles et les collectivités locales. Elles procèdent d'une conception réduisant l'accueil des jeunes enfants à une simple garde.

 


Un contresens économique

 

Une autre approche de la politique de la petite enfance est pourtant nécessaire. Car l'enjeu est éducatif, social mais aussi économique. De nombreuses études, comme celle du prix Nobel James Heckman (3), sont venues confirmer que les capacités d'un individu à s'insérer socialement et à acquérir une qualification sont largement déterminées par sa petite enfance et que les actions d'éveil menées dans les crèches collectives permettent de lutter contre les inégalités sociales. De plus, l'absence de solution satisfaisante d'accueil des enfants est un facteur important d'éloignement des femmes du marché du travail, elle est même destructrice d'emplois. Les chercheurs Eric Maurin et Delphine Roy estiment que 100.000 places de crèches permettent, à l'inverse, de préserver 15.000 emplois et concluent que la création de places en crèches est économiquement rentable (4).

 


Une autre politique de la petite enfance est possible. Des collectivités locales ont fait le choix d'un investissement massif en faveur du développement de l'offre d'accueil sans rogner sur la qualité. Ainsi, à Paris, en dépit des contraintes financières et foncières, plus de 10.000 places seront créées sur la période 2001-2014, portant le niveau d'accueil en structure collective à plus de 50% des enfants de moins de trois ans (contre 10% au niveau national).

 


Des mesures sont également prises en matière d'accueil à domicile, pour former des auxiliaires parentales et créer un label de qualité.

 


De plus, la Ville de Paris a pris l'initiative en 2008 d'une convention tripartite avec la région Ile-de-France et l'académie de Paris pour augmenter le nombre de personnels formés aux métiers de la Petite enfance, faciliter les recrutements et contribuer à sortir de cette situation paradoxale de déficit de personnels formés alors que le chômage fait rage, en particulier chez les jeunes.

 


Au niveau national, les besoins en matière d'accueil des enfants de moins de trois ans sont évalués à une fourchette comprise entre 300.000 et 500.000 places. Nous appelons donc à un véritable «plan Marshall» de développement de l'accueil collectif, auquel une nouvelle majorité présidentielle et parlementaire devrait s'atteler dès 2012, pour initier d'autres choix que ceux pris actuellement.

 


Nous proposons une politique progressiste qui garantit l'égalité femmes-hommes, car aujourd'hui ce sont les femmes qui cessent leur activité professionnelle lorsqu'il n'y a pas de solution d'accueil pour leur enfant, une politique qui assure l'égalité des chances pour les enfants, la période de la prime enfance étant déterminante pour leur développement.

 


La petite enfance, première marche du système éducatif

 

De même, l'expérience de certains pays scandinaves doit nous inspirer : la petite enfance y est considérée comme la première marche du système éducatif. Ce système qui investit le plus dans l'éducation dès la petite enfance est celui qui bénéficie des meilleures comparaisons internationales tout au long de la chaîne éducative. La Suède et la Norvège ont d'ailleurs transféré la responsabilité de l'accueil de la petite enfance du ministère des affaires sociales vers le ministère de l'éducation.

 


Autre mesure exemplaire : les deux parents peuvent se partager un congé parental d'un an au Danemark et de 16 mois en Suède, congés convenablement rémunérés, relayés ensuite par un dispositif garantissant à chacun et chacune un mode d'accueil pour son enfant.

 


Il serait temps que nos dirigeants politiques nationaux suivent ces exemples. Nous n'en prenons hélas pas le chemin. Il appartient donc aux forces progressistes de notre pays de proposer une alternative crédible avec la perspective pour la prochaine législature d'un véritable service public de la petite enfance.

 

   

Christophe Najdovski, adjoint au Maire de Paris chargé de la Petite enfance (Les Verts)dans Médiapart du 16 juin 2010

  

 

(1) : Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009

 

(2) : Proposition de loi n°109, adoptée définitivement le 27 mai 2010, relative à la création des maisons d'assistants maternels et portant diverses propositions relatives aux assistants maternels

 

(3) : « Skill Formation and the Economics of Investing in Disadvantaged Children », Science, juin 2006, (cité par Thibault Gajdos)

 

(4) : "L'effet de l'obtention d'une place en crèche sur le retour à l'emploi des mères et leur perception du développement des enfants", Cepremap, mai 2008.

 

 

Tag(s) : #Sociales
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