Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog


Conçue dans la lutte extrême de la seconde guerre mondiale, l'arme nucléaire est devenue l'outil de la dissuasion mutuelle des deux protagonistes de la guerre froide, rejoints par le Royaume-Uni, la France et la Chine.


La dissuasion, associée à la suprématie stratégique des "deux grands" de l'époque, a joué un rôle de limitation des conflits armés pendant la guerre froide ; elle a conservé en partie cette fonction depuis lors. Deux évolutions profondes de la scène mondiale obligent cependant à réexaminer le rôle de l'arme nucléaire pour demain.


D'une part, la variété des conflits après la fin des blocs offre beaucoup moins de prise aux mécanismes de la dissuasion. Beaucoup des acteurs y sont engagés avec des objectifs purement locaux, ne se rangent aux pressions d'aucune puissance globale et n'atteignent pas les intérêts vitaux des puissances nucléaires. Celles-ci ont opté durablement pour des politiques coopératives dans leurs rapports mutuels. Les seuls porteurs d'une contestation globale sont des acteurs non étatiques tentant de répandre leur fondamentalisme. La pertinence stratégique de la dissuasion connaît des "angles morts" de plus en plus larges.


 

D'autre part, l'instrument de régulation constitué par les accords antiprolifération à partir du traité de 1968 a perdu de son efficacité. Il a pu, voici deux ou trois décennies, amener certains Etats à ne pas acquérir l'arme nucléaire ou à s'en défaire. Mais les engagements des puissances nucléaires qui fondaient l'équilibre du système n'ont pas abouti. Israël, l'Inde et le Pakistan sont entrés dans le "club" sans résistance, le règlement des crises régionales les plus aiguës n'a pas été obtenu et les détenteurs de l'arme n'ont fait que des progrès limités dans le processus de désarmement auquel ils avaient souscrit.


 

Ces échecs de la non-prolifération, que confirment et accentuent les actions de l'Iran et de la Corée du Nord, ont des conséquences cumulatives : la légitimité des accords actuels est affaiblie par les proliférations déjà admises, l'efficacité d'un système fondé sur un petit nombre d'acteurs connaissant la cohérence stratégique de l'adversaire est minée par l'arrivée de nouveaux venus. Le phénomène contient des risques d'emballement à terme par la multiplication des protagonistes et par l'instabilité institutionnelle pouvant affecter l'un d'eux. La sécurité internationale est donc gravement en cause. Ajoutons que les succès relatifs obtenus contre la prolifération d'autres types d'armes peuvent être fragilisés par la propagation de la plus puissante des armes de destruction massive qu'est l'arme nucléaire.


 

La conséquence de ces observations est claire : la réussite de la non-prolifération est une nécessité première pour la paix, et elle repose sur des initiatives urgentes et beaucoup plus radicales des cinq puissances nucléaires reconnues par le traité de 1968. Elles doivent engager un processus conduisant de manière planifiée au désarmement complet, y associer pleinement les trois puissances nucléaires de fait, écarter tout projet de développement d'arme nouvelle, prendre plus d'initiatives et de risques politiques pour surmonter les crises régionales majeures.


 

Barack Obama, le président américain, a pris des positions très prometteuses dans ce sens à partir de son discours de Prague le 6 avril, puis de ses rencontres avec le président russe Dmitri Medvedev. Un mouvement stratégique majeur peut être en train de s'engager. Les obstacles prévisibles sont cependant massifs : l'attachement aux acquis de puissance de l'establishment politique et militaire aux Etats-Unis, la méfiance devant le changement des dirigeants russes et chinois, les stratégies régionales de l'Inde, du Pakistan et d'Israël, la difficulté d'obtenir la renonciation de la Corée du Nord et de l'Iran.


 

La France a une place spéciale dans ce débat par sa tradition d'indépendance, le sens des responsabilités que démontrent la stricte suffisance de son arsenal et la solidité de ses dispositifs de sécurité, sa participation persévérante et constructive à toutes les initiatives de limitation et de contrôle efficace des armements. Elle est tout aussi intéressée que les autres puissances nucléaires au rétablissement d'une non-prolifération crédible. Le message politique de paix et de justice qu'elle entend adresser au monde lui impose d'être un acteur dynamique et créatif du processus de désarmement effectif et équilibré qui peut s'amorcer et qu'espèrent la très vaste majorité des peuples de la planète et tous nos partenaires européens.

 


Au nom de leur expérience de ce sujet, les signataires de la présente déclaration expriment le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités, en ouvrant les débats nécessaires dans ses institutions démocratiques et en préparant activement les échéances prochaines de négociation, en premier lieu la préparation de la conférence quinquennale d'examen du traité de non-prolifération nucléaire de 2010.


 

Alain Juppé, ancien premier ministre ; Bernard Norlain, général, ancien commandant de la force aérienne de combat ; Alain Richard, ancien ministre de la défense ; Michel Rocard, ancien premier ministre.

 


Article paru dans l'édition du Monde du 15 octobre 2009

Tag(s) : #Nucléaire
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :