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Samedi 2 octobre, pour la troisième fois, nous étions trois millions dans la rue. La loi sur les retraites commence à devenir un chemin de croix pour le gouvernement qui voulait en faire le symbole de sa politique de contre-réformes. Dans tous les cas de figure, il risque de payer au prix fort le fait de n’avoir rien compris aux aspirations des Français. Loin de considérer la retraite à 60 ans comme un acquis social des « jours heureux » de l’État providence qu’il conviendrait de sauvegarder à tout prix, ils estiment qu’elle est une nécessité dans les conditions actuelles de la vie contemporaine.

 

 

En s’arcboutant sur le « travailler plus pour gagner plus », Sarkozy s’est inscrit dans la continuité de la droite française de Guizot et de son « enrichissez vous », prônant une philosophie politique dépassée qui se heurte aux réalités des conditions sociales engendrées par la mondialisation d’aujourd’hui. Si les salariés refusent cette philosophie, c’est parce que le travail tel qu’il est n’est plus vivable. Et cette réalité va bien au delà de la question de la pénibilité, même s’il y a toujours des ouvriers qui, arrivés à l’âge de 55 ans, n’en peuvent plus de devoir travailler sur des marteaux piqueurs ou dans des ateliers de peinture toxique. Les troubles musculo-squelettiques (ou TMS) ne touchent pas que la profession de caissières de supermarchés, elles sont la première cause de reconnaissance de maladie professionnelle (81,2%).

 

 

En dix ans, de 1998 à 2008, le nombre de maladies professionnelles a connu une augmentation annuelle moyenne de 13,5%. La notion de pénibilité au travail comporte d’autres critères, comme l’exposition à un environnement dit agressif et des horaires atypiques. Si l’on cumule les différents critères de pénibilité, on atteint des chiffres autour de 10 millions de salariés. Le travail de nuit, posté, les cycles irréguliers, concernent plus d’un salarié sur cinq : soit 5 millions. Dix ans de travail de nuit, c’est 15 ans de vie dépensés : 3 millions de salariés travaillent la nuit. Comme le dit l’inspecteur du travail Gérard Filoche, le travail posté concerne 66 % des salariés de la métallurgie, 54% dans le caoutchouc, 53% dans le verre, 53% dans l’automobile, 47% dans le papier, la police, l’armée, les pompiers, les métiers de la santé et des transports et courriers terrestres, maritimes puis aériens. Et en tant qu’écologistes, comment ne serions nous pas sensibles à l’exposition à des atmosphères polluées, cancérigènes, toxiques, qui engendrent des dizaines de milliers de cancers dont nombre ne sont pas comptabilisés comme tels ? Qui comptabilisera la souffrance au travail des salariés, cadres ou employés de France-Télécom ?

 

 

Le stress au travail du à la productivité, engendre une fatigue mentale qui annule les années gagnées en espérance de vie. Les heures de transport cumulées , la double journée de travail des femmes, dans l’entreprise et à domicile, les menaces de chômage, la précarisation des statuts, ne peuvent être calculés. Pourtant, ce sont des facteurs que tout psychologue ou médecin du travail connaît. Lorsqu’ils ont un emploi, la plupart des salariés ne s’épanouissent plus dans le travail. Ils doivent d’abord répondre aux besoins de rentabilité de leur entreprise. Dés lors, la retraite est vécue comme une libération. C’est ce phénomène qui est à la source de la révolte contre cette réforme. Perdre sa vie en travaillant n’est plus un slogan de soixante huitards attardés, mais la réalité massive d’un travail qui s’est dégradé depuis trois décennies. Les communautés de travail ont progressivement disparu, l’individualisme s’est accru. La concurrence entre les salariés, liée aux systèmes de prime, a pris le dessus face aux anciennes solidarités d’ateliers ou de bureaux. Chacun se sent seul et démuni face à un patronat toujours plus exigeant en terme de profit.

 

 

C’est pourquoi la notion de « bien vivre », venue d’Amérique latine, est en train de monter en puissance en France. Vivre bien, c’est chercher l’expérience personnelle en communauté, dans son quartier, son village ou son entreprise, où tous les membres se préoccupent de tous. Le plus important n’est pas l’argent, comme le postule le sarkozysme, mais la vie. La recherche d’une vie plus simple, plus douce, réconciliant l’humain et son environnement est au coeur de l’expérience des communautés indiennes en Bolivie ou en Équateur ou encore chez les sans-terre du Brésil. Ce n’est pas une utopie archaïque, à usage de peuples enfermés dans leur passé, mais une aspiration à une vie dégagée des contraintes de la marchandisation.

 

 

C’est, entre autres, sur cette conception d’un autre mode de production, de consommation, de développement, que Marina Silva, la candidate des verts brésiliens aux élections présidentielles, vient de remporter plus de 19 millions de voix dans ce pays continent. Réaliser 20 % face à la candidate soutenue par Lula, qui a éradiqué la moitié de la pauvreté en dix ans de mandat, était un défi apparemment insurmontable. Si les idées écologistes portent à l’intérieur même d’une gauche qui a réussi, c’est que le souci du Bien vivre devient une préoccupation majeure dans nos sociétés contemporaines précarisées. Le concept de « vivre bien » est fondé sur une autre conception de la vie dans la société, mais aussi sur un autre rôle de l’État et de la démocratie : il s’agit de « démarchandiser » un monde où les domaines les plus intimes de la vie ont été colonisés par l’argent.

 

 

Lorsque les Français descendent par millions dans la rue, ils le font en famille ; ils veulent retrouver une convivialité perdue ces trente dernières années durant lesquelles le seul moteur est devenu la domination de la technique, la vitesse et l’uniformisation de la consommation.

 

 

Vivre bien, c’est rechercher des moyens de redonner un sens à sa vie, par delà les contraintes matérielles, au delà des différences, c’est faire du dialogue social et sociétal un moyen de dépasser le seul affrontement frontal entre entrepreneurs et salariés, tout en cherchant pour ces derniers le moyen de vivre une vie décente. Vivre bien, c’est aussi la convivialité avec ses collègues de travail comme avec ses voisins. Il n’y a jamais eu autant de repas ou de fêtes de voisins, d’apéros organisés au nom de n’importe quel prétexte dans les bureaux ou les ateliers.

 

 

Vivre bien, c’est respecter l’autre, savoir écouter tout ce que dit celui qui désire parler, sans discrimination. La tolérance, le respect de l’autre, sont des valeurs montantes face aux conflits générés par ceux qui veulent diviser les groupes humains entre eux, selon leurs origines, leurs religions, leurs positions dans la société.

 

 

Vivre bien, c’est penser la complémentarité, parce que tous les êtres qui vivent sur la planète se complètent les uns avec les autres. Dans les communautés, l’enfant a besoin du grand-père et réciproquement, l’homme de la femme, le Français de l’étranger... Vivre bien, c’est respecter les ressemblances et les différences entre les êtres qui vivent sur la même planète. Au delà du concept de la diversité, il y a besoin d’une ressemblance et d’une différence.

 

 

Vivre bien, c’est mener une vie d’équilibre avec tous les êtres , c’est aspirer à une société équitable et sans exclusion, dans le respect de son identité et de la dignité de chacun. Vivre bien, c’est savoir consommer avec modération sans donner dans le superflu ou l’inutile. Vivre bien, c’est savoir se nourrir sans OGM et selon les saisons.

 

 

Vivre bien, c’est considérer le travail comme un lieu d ‘émancipation, à la différence du capitalisme où on se fait payer pour travailler.

 

 

Vivre bien, c’est différent du vivre mieux, qui est lié au capitalisme. Vivre mieux se traduit par de l’égoïsme, du désintérêt pour les autres, de l’individualisme et le fait de penser seulement au gain. L’air du temps sarkozyste pousse à l’exploitation des personnes pour le captage des richesses par un petit nombre, tandis que Vivre bien demande une vie simple qui maintient une production équilibrée.

 

 

Vivre bien, c’est récupérer la richesse naturelle du pays et permettre que tous bénéficient de celle-ci, d’une manière équilibrée et équitable. La finalité de la doctrine du Vivre bien, c’est aussi de reconsidérer le rôle de l’État, dans le cadre de l’équilibre et de la cohabitation entre l’homme et la nature, en opposition avec une exploitation irraisonnée des ressources naturelles.

 

 

Vivre bien, c’est apprendre des personnes âgées, des retraités qui doivent être consultés et respectés comme des Sages C’est pourquoi la bataille des retraites est une bataille profondément écologique. Elle concerne l’écologie mentale, sociale et environnementale, pour reprendre le concept des « trois écologies » cher à Félix Guattari. Remettre cette société les pieds sur terre, c’est se battre pour le bien vivre et l’équilibre, sans subir la loi des agences de notation. Lula l’a réussi en partie, mais le score de Marina montre que la gauche ne peut réussir si elle n’intègre pas l’écologie à son logiciel, si elle ne répond plus au besoin d’émancipation et de bien vivre.

 

 

Il faut maintenant penser contre la logique de la vitesse. Nous voulons vivre à notre rythme, pouvoir nous reposer après une vie consacrée à une activité enrichissante, nous occuper des générations futures. La nouvelle gauche latino-américaine se bat au nom du bien vivre pour une nouvelle répartition des richesses. Pourquoi pas nous ?

 

 

Noël Mamère . Le 4 octobre 2010

Tag(s) : #actualités internationales
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