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stephane

Il aurait pu être le gendre idéal du PCF, une des icônes d'un improbable renouvellement du vieux parti. Jeune, le tutoiement facile, une paire de baskets, jean et veste décontractée. Un pragmatisme de gauche dont raffolent les chaînes de télévision à l'affût de bons clients. Et comme Stéphane Gatignon, 41 ans, maire de Sevran, incarne la figure de l'élu de terrain au coeur de la Seine-Saint-Denis, en première ligne sur le front des crises sociales et urbaines, il pouvait donner une image moderne du communisme municipal dans ce qui reste de la banlieue rouge.

 

 

Patatras ! Le gendre idéal a quitté le PCF pour rejoindre un parti plus jeune, un brin plus sexy que l'appareil communiste. La crise de la quarantaine politique, si on peut dire : aux élections régionales, Stéphane Gatignon est candidat pour Europe Ecologie, tête de liste en Seine-Saint-Denis. Dans une longue lettre aux habitants de Sevran, il a expliqué cette rupture : "Le modèle sur lequel nos parents ont construit la société s'effondre. Le productivisme dévore les ressources naturelles et humaines de notre monde, mettant en danger l'équilibre écologique et social de la planète."

 


Stéphane Gatignon avait pourtant suivi toutes les étapes du catéchisme révolutionnaire. "J'ai baigné dans le communisme", résume-t-il. Dès l'enfance, avec des grands-parents résistants et communistes et des parents militants investis au PCF. Logiquement, le jeune garçon s'inscrit dans le mouvement des pionniers, part en colonie de vacances avec ses copains d'Argenteuil, où son père est adjoint au maire, et effectue une virée à Moscou pour le Festival mondial de la jeunesse.

 


A 15 ans, il entre aux Jeunesses communistes (JC). A 17 ans, il fait ses premières armes de militant pendant le mouvement lycéen de 1986. Un engagement total. "Ça devient très vite ma vie, je commence à y passer mes soirées. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai eu un peu de mal à avoir mon bac : j'ai échoué deux fois", raconte-t-il dans son livre d'entretien A ceux que la gauche désespère (Le Cherche Midi, 2008). Mais les débats internes au PCF pendant la période de la perestroïka en Union soviétique, à partir du milieu des années 1980, vont le bousculer. Face à la chute du mur de Berlin et à Tiananmen, en 1989, il s'éloigne progressivement de la ligne officielle du parti, trop conservatrice à ses yeux.

 


Il se fait exclure des JC. Rejoint les refondateurs. Suit des études d'histoire et commence une thèse sur le communisme municipal. Puis devient l'attaché parlementaire de François Asensi, député communiste de la Seine-Saint-Denis, qui l'aide à s'installer à Sevran, une des villes de sa circonscription. Il n'y a aucune attache mais son parachutage réussit : en 2001, à la surprise générale, il l'emporte face à la municipalité de droite. "Le parti m'a laissé y aller parce qu'ils devaient penser que je ne pourrai jamais gagner", s'amuse-t-il.

 


Il a 32 ans et commence à gérer une ville de 50 000 habitants en grande difficulté, une des plus pauvres et des plus jeunes de France. La commune est pratiquement en faillite. Les industries locales sont en train de fermer. Le chômage gangrène les quartiers sensibles. Les bâtiments municipaux sont dans un sale état. Dangereux même. "Ma première décision a été d'acheter une quinzaine de cornes de brume pour que les enseignants puissent sonner l'alerte en cas d'incendie."

 


De ce choc initial, il en ressort avec la volonté d'être pragmatique. Les histoires d'appareil ne le passionnent plus beaucoup. Là où le PC est empêtré dans son histoire, lui parle sans tabou de la violence, de la misère sociale et culturelle, des trafics de drogue. Les émeutes de l'automne 2005 ont touché Sevran très durement. Le maire se souvient d'avoir eu l'impression de vivre "dans un camp retranché" pendant de longues nuits. Des violences qui l'ont marqué profondément.

 


Comme l'incendie criminel à l'origine de la mort de cinq personnes, dont trois enfants, en août 2009 dans le quartier des Beaudottes. Très probablement la conséquence des trafics de drogue qui pourrissent la vie de la cité. "Cela a été une vraie rupture pour moi. Personne n'est venu pour la commémoration. Pas un ministre, pas un préfet. Je l'ai très mal vécu. J'ai été à deux doigts de tout arrêter." Comme si les élites ne voulaient pas voir la gravité de la situation. Comme si personne ne voulait se mobiliser pour les quartiers.

 


Alors, plutôt que de tout arrêter, il franchit le pas, comme il dit. Son constat est que le PCF n'est plus en situation d'organiser une pensée collective et de proposer des solutions. "Il n'y a plus de vision à gauche. C'est pour ça que Sarkozy peut démanteler ce qu'il veut comme dans du beurre." A ses yeux, l'appareil communiste n'a plus qu'une fonction alimentaire pour ses membres : les aider à être réélus. "Il a fait le constat que l'offre politique actuelle était complètement obsolète", relève un de ses amis, l'avocat Jean-Michel Catala, un ancien compagnon de route au sein des refondateurs communistes.

 


Sa décision a fait tousser dans les sections locales. "Je lui accorde des circonstances atténuantes parce que le PC a perdu beaucoup d'occasions pour se renouveler ces dernières années. Mais les militants qui l'ont fait élire ont très mal pris sa décision", souligne François Asensi, son mentor. Ses adversaires, eux, n'ont pas été réellement surpris. "Cela fait longtemps qu'il est indépendant vis-à-vis de son parti. On l'a senti évoluer, on l'a vu prendre des positions parfois différentes de celles de son groupe", note Ludovic Toro, élu UMP qui le côtoie sur les bancs du conseil général de la Seine-Saint-Denis.

 


Pour Stéphane Gatignon, l'écologie a un immense mérite : aider à penser l'urbain. Ne pas se contenter d'une simple gestion municipale. Se replacer dans le temps long. En meeting, un soir de janvier à Montreuil, le maire justifie son basculement devant les militants d'Europe Ecologie. "On vit dans une situation de chaos qui se caractérise par une violence terrible de la société. Face à ce chaos, pour retrouver les chemins de la solidarité, il faut travailler une nouvelle vision civilisationnelle, un nouveau projet de société, une vraie rupture, et c'est l'écologie politique."

 


Dans la vie réelle, Stéphane Gatignon a encore un peu de mal à parler d'écologie. En bon militant, il glisse certes un mot sur le développement durable en évoquant les problèmes de précarité énergétique et la nécessité de mettre aux normes écologiques les immeubles construits dans le cadre de la rénovation urbaine. Mais sa nature revient au galop. "Je suis toujours communiste", dit-il.

 


De son poste d'observation, dans les bâtiments provisoires qui servent de mairie depuis plus de trente ans, il parle d'inégalités sociales et de l'absence de solidarité entre villes pauvres et riches. Sur son blog, il se désespère des nombreuses fermetures d'entreprises et d'usines en Seine-Saint-Denis. En fidèle communiste, il n'a pas encore fait de la décroissance écologiste sa propre religion.

 


Luc Bronner - Article paru dans Le Monde du 9 mars 2010.

 

 

Parcours :

 

1969

Naissance à Argenteuil (Val-d'Oise).

1984

Entre aux Jeunesses communistes.

2001

Elu maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).

2004

Conseiller général de Seine-Saint-Denis.

2005

Sa ville, Sevran, est très touchée lors des émeutes de l'automne.

2010

Tête de liste Europe Ecologie en Seine-Saint-Denis pour les élections régionales.

 

Tag(s) : #Elections régionales 2010
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