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C FOUREST

 

Chronique de Caroline Fourest dans Le Monde du 12 juin 2010

 

 

Deux actualités brûlantes se disputent les passions : le blocus de Gaza et le blocus des urnes à Téhéran. Elles ne sont pas de même nature, mais représentent toutes deux des enjeux incendiaires. D'un côté, le blocus israélien met tout un peuple en prison sous prétexte de punir le Hamas et ses roquettes. La brutalité de l'armée israélienne vient encore de faire neuf morts.

 

 

De l'autre, un tyran et son Guide suprême ont mis leur propre peuple en prison. La brutalité de la milice du régime a fait des centaines de morts et menace de recommencer à l'occasion de l'anniversaire de l'élection présidentielle volée. Dans les deux cas, il y a de quoi être horrifié. Pourtant, il y aura toujours des gens plus passionnés par ce qui se passe à Gaza qu'à Téhéran, ou inversement. Ceux qui soutiennent la droite israélienne préfèrent pointer Téhéran quand on leur parle de Gaza. Ceux qui soutiennent la cause palestinienne, y compris dans ses formes terroristes, ne jurent que par Gaza quand on leur parle de Téhéran.

 

 

Le déni tactique n'est pas la seule explication. Il se joue quelque chose de plus idéologique et de plus profond. Une fracture presque inconsciente nourrit les malentendus : celle qui sépare la culture politique "plutôt antitotalitaire" de la culture politique "plutôt anticolonialiste". Non pas que les deux soient incompatibles. En théorie, l'humanisme élémentaire commande d'être les deux à la fois. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les deux s'épousaient parfaitement. La prise de conscience face à la barbarie nazie servait la lutte en faveur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Comment refuser ce droit à des peuples colonisés, surtout lorsqu'ils vous ont aidé à reprendre votre souveraineté face aux nazis ?

 


L'harmonie n'a duré que quelques années. De 1945 à 1948. Dès l'avènement d'Israël, il y a deux façons de lire cette histoire. Dans la version antifasciste, Israël est un refuge pour les migrants juifs fuyant les pogroms, puis les rescapés des camps, c'est-à-dire le sommet de l'horreur. Dans la version anticolonialiste, la création d'Israël constitue le dernier projet de colonisation en date, autant dire le sommet de l'horreur.

 


Comment ces deux versions pourraient-elles s'entendre ? Le malentendu s'envenime lorsque chacun franchit les lignes rouges de l'autre. Lorsque les partisans d'Israël minimisent le racisme anti-arabe qui naît de l'occupation et soutiennent ouvertement la poursuite de la colonisation. Lorsque les partisans de la cause palestinienne minimisent le racisme anti-juif de certains résistants à l'occupation, ou le fanatisme totalitaire d'un mouvement comme le Hamas. Le conflit israélo-palestinien devient un conflit entre antifascistes et anticolonialistes. Ils ne se comprennent plus ni sur le Proche-Orient ni sur l'Iran.

 


Dans une certaine tradition tiers-mondiste, le totalitarisme n'est jamais grave s'il clame son anti-impérialisme. Peu importe qu'Ahmadinejad fasse couler le sang de son peuple, du moment qu'il promet de venger le sang palestinien. Dans la lignée d'une certaine tradition antitotalitaire, le racisme colonial sera toujours moins grave que le racisme exterminateur. L'important, c'est qu'un tyran au bord du nucléaire souhaite la disparition d'un pays, fût-il colonisateur.

 


Entre les deux, le véritable humanisme cherche à réconcilier son antifascisme et son anticolonialisme. Non sans mal. Le choix de ses alliés oriente la cause que l'on sert. Peut-on se battre contre le totalitarisme avec des colonisateurs ? Peut-on marcher contre le colonialisme avec des totalitaires ? Et si non, faut-il se battre tout seul ?

 


Certes, l'union fait la force mais l'ennemi de mon ennemi n'est pas forcément un ami. Les humanistes sont suffisamment nombreux pour défiler sous leur propre bannière. Celle du droit de tous les peuples (israélien, palestinien et iranien) à disposer d'eux-mêmes. Sans roquettes, sans blocus et sans dictateur.

 


Tag(s) : #actualités internationales
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