Energie - Peut-on se passer du nucléaire ?

Nous vous proposons la lecture duscript d'une émission diffusée sur BFM TV le 16 mars 2011. Denis Baupin a débattu avec Jean Yves Le Déaut.

Denis Baupin, adjoint au maire de Paris chargé de l'environnement :

Je suis bouleversé par ce qui se passe aujourd'hui. Quand, depuis trente ans, on se préoccupe de ces questions et qu'on alerte sur les risques d'accidents nucléaires et qu'on voit ce qui est en train de se passer au Japon, probablement qu'on risque d'avoir une catastrophe pire que celle de Tchernobyl, parce que là, on est à proximité de grandes quantités de populations, 35 millions d'habitants sur la zone de Tokyo, on est extrêmement préoccupé.

Une des questions qui doit se poser, c'est comment on va aider la population japonaise, par exemple, par rapport à toutes les personnes qui risquent d'être irradiées suite à cette catastrophe nucléaire, comment la communauté internationale peut apporter son aide. Après, entendre le président de la République nous dire, le seul pays au monde qui dit on ne change rien, c'est la France. La Belgique, la Suisse, l'Allemagne, même la Chine sont en train de réviser leur programme nucléaire à la baisse. La France serait le seul pays dans lequel le nucléaire soi-disant serait sûr. Alors qu'on a des incidents, on a 1 000 incidents par an dans le nucléaire français. On avait un rapport de l'Autorité de sûreté nucléaire ...

Alain Marschall (BFM TV) :Mille incidents, ce sont des incidents qui sont à des degrés divers, voire bénins et qui sont contrôlés.

Denis Baupin : Oui, donc ce n'est pas quelque chose qui est totalement sûr, garanti, etc.

Olivier Truchot (BFM TV) : Très bien, vous faites un constat! Mais peut-on se passer du nucléaire tout simplement ? C'est ça la question de bon sens aujourd'hui pour tous ceux qui nous regardent ! Est-ce qu'on peut se passer du nucléaire en France et vivre comme on vit aujourd'hui?

Denis Baupin : Comment font les Allemands ?

Olivier Truchot (BFM TV) : Ils ont du charbon. C'est mieux le charbon ?

Denis Baupin : Comment font les Belges ? Comment font tous ces pays...

Olivier Truchot (BFM TV) : Ils ont du charbon, les Allemands !

Denis Baupin : Attendez, on prend les problèmes les uns derrière les autres et tranquillement. Moi, je constate qu'en Allemagne ou en Belgique ou en Suisse, les socialistes ont décidé de sortir du nucléaire avec les écologistes parce que les risques étaient trop importants. Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que, en effet, les risques sont majeurs. J'entendais monsieur LE DEAUT dire que quand il y avait un accident d'avion, on n'allait pas arrêter l'aviation. Oui, sauf que, de fait, quand il y a un accident d'avion, il y a 200, 300 morts, c'est grave, mais ce n'est pas du tout à l'échelle de ce qu'on a avec un accident nucléaire, c'est beaucoup plus et c'est beaucoup plus grave. Donc, la question en effet est celle des alternatives. Mais il faut constater qu'aujourd'hui, le nucléaire, c'est 3 % de l'énergie dans le monde, donc ça veut dire que...

Olivier Truchot (BFM TV) : Mais en France, c'est plus !

Denis Baupin En France, c'est un peu plus, c'est 78 % de l'électricité, à peu près 25 % de l'énergie. Donc, pour en sortir, on a pris beaucoup de retard, ça, c'est vrai, par rapport aux autres qui ont anticipé, beaucoup de choses ont été faites pour empêcher la construction des alternatives. Donc, il faut d'autant plus se dépêcher de les mettre en place.

(...) Jean-Yves Le Deaut, député PS de Meurthe et Moselle : On a un problème que nous avons à résoudre sur une centrale, est-ce que, à chaud, sans avoir eu le débat public et sans avoir traité de la sûreté des centrales ...

Olivier Truchot (BFM TV) : Mais le débat, on ne l'a pas avant, le débat, on ne l'a jamais en France !

Denis Baupin Pourquoi madame MERKEL le fait ? Pourquoi la Suisse le fait ? Pourquoi la Belgique le fait ? Pourquoi la Chine le fait ? Est-ce qu'ils sont des gens irrationnels ?

Jean-Yves Le Deaut :  Madame MERKEL n'a pas dit ça. Madame MERKEL a des centrales d'ailleurs qui sont du même type que celle qui vient d'exploser au Japon, ce qui n'est pas le cas des centrales françaises, elle vient de dire : Il y a un moratoire de trois mois, en attendant qu'on ait ce débat public.

Denis Baupin  Vous êtes contre le moratoire même, en France, vous êtes même contre le moratoire.

Jean-Yves Le Deaut : Nous sommes pour un débat sur la sûreté de chacune des centrales.

Dans la tribune que j'ai cosignée, je demande que pour chacune des centrales, car, on a eu un évènement grave effectivement, qui est passé inaperçu parce qu'il n'y a que quand il y a la catastrophe ...

Olivier Truchot (BFM TV) : Où ça ?

Jean-Yves Le Deaut : Au Blayais, il y a une douzaine d'années ...

Olivier Truchot (BFM TV) : Avec une inondation ...

Jean-Yves Le Deaut : Avec une inondation, pour une tempête. Je pense que le risque majeur aujourd'hui, qui a sans doute été sous-estimé, on le verra, au Japon, c'est le risque des circuits de refroidissement et ce n'est pas le risque de tremblement de terre, les Japonais l'ont traité, c'est le risque effectivement d'inondation.

Denis Baupin Quand, il y a un mois, l'Autorité de sûreté nucléaire dit que pour 34 réacteurs en France, nous avons des problèmes de refroidissement, que nous ne pouvons pas garantir le refroidissement, c'est l'Autorité de sûreté nucléaire, ce n'est pas nous qui le disons et que seulement les écologistes soulignent cette gravité et que les parlementaires ...

Jean-Yves Le Deaut :Mais je suis pour qu'on les examine, absolument!

Denis Baupin Oui, mais qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on maintient en activité des centrales sur lesquelles le refroidissement. ..

Jean-Yves Le Deaut : Est-ce que la probabilité, est-ce que, aujourd'hui, on va avoir un accident sur des centrales qui ne sont pas du même type, je le redis...

Denis Baupin On joue à la roulette russe alors !

Jean-Yves Le Deaut : Non. On ne joue pas à la roulette russe. On fait l'analyse très rapidement, en fonction de ça, si jamais on a des centrales qui se révèlent dangereuses ...

Denis Baupin « Très rapidement», mais qu'est-ce qui s'est fait « très rapidement» ?

Jean-Yves Le Deaut : On les supprime. Par contre, quand on est contre l'EPR. ..

Olivier Truchot (BFM TV) : On ne sait pas les supprimer, on ne sait pas les démanteler les centrales aujourd'hui. ..

Jean-Yves Le Deaut : Si, si, on sait les démanteler (...)

Alain Marschall (BFM TV) : Puisque vous représentez les Français en étant député, est-ce que vous êtes pour que la représentation nationale s'empare du débat. ..

Jean-Yves Le Deaut : Absolument.

Alain Marschall (BFM TV) : Et qu'il y ait un vrai débat clair, franc, ouvert à l'Assemblée nationale?

Jean-Yves Le Deaut : Bien sûr.

Denis Baupin Avec 99% des députés qui sont pro-nucléaires, ce n'est pas vraiment un débat représentatif de la société ...

Alain Marschall (BFM TV) : 99 % des députés sont pro-nucléaires?

Jean-Yves Le Deaut : Non, non, non, je ne crois pas que ce soit. ..

Denis Baupin  Ah si ! Il Y a cinq députés écologistes, même pas, quatre députés écologistes, le reste ...

Jean-Yves Le Deaut : Ce n'est pas aussi simple que cela ! Entre l'UMP et nous, on n'a pas les mêmes positions!

Denis Baupin Franchement... c'est un détail. ..

Jean-Yves Le Deaut : On n'est pas pour le passage au secteur privé effectivement des centrales nucléaires françaises.

(...) Denis Baupin Franchement, il faut qu'ils arrêtent toutes les centrales nucléaires ! Pas du jour au lendemain, mais franchement, il faut s'engager dans une sortie du nucléaire ...

Olivier Truchot (BFM TV) : Toutes ? On ne peut pas faire déjà le tri entre celles qui. ..

Denis Baupin D'accord, commençons par les plus anciennes. On a en France à peu près une quinzaine de réacteurs qui date d'avant 1980, qui sont à peu près les dates qu'a retenues madame MERKEL pour mettre un moratoire sur ses propres centrales.

Alain Marschall (BFM TV) : Donc, là, il y a danger ?

Denis Baupin Il y a en tous cas à les examiner en priorité. Il faut commencer par Fessenheim, qui est la plus ancienne des centrales, qui est sur une zone sismique, celle-là, il faudrait la fermer rapidement. Il faut arrêter de construire de nouveaux réacteurs. Excusez-moi, mais franchement, l'EPR ...

Olivier Truchot (BFM TV) : L'EPR, il est plus sûr, il est beaucoup plus sûr!

Denis Baupin Beaucoup plus sûr, mais non, il est un tout petit peu plus sûr ! Mais enfin, franchement. ..

Jean-Yves Le Deaut : Ah ça, c'est un désaccord !

Denis Baupin Ah oui, ça, on en a beaucoup de désaccords, ça, je suis d'accord !

Jean-Yves Le Deaut : Ça, c'est un désaccord.

Denis Baupin En plus, sur le fait, excusez-moi, de l'indécence dans la période, dans ce qui se passe aujourd'hui au Japon, que le président de la République française dise : Ah oui, mais nous, on va vendre nos réacteurs français parce qu'ils sont bien meilleurs que les réacteurs japonais! Franchement! Pourquoi, il y a trois semaines ...

Jean-Yves Le Deaut : Je n'ai pas à défendre le président de la République là-dessus. Mais il y a de l'indécence à nous battre sur des sujets comme ceux-là quand effectivement le Japon se bat pour essayer de trouver ...

Alain Marschall (BFM TV) : Indécent...

Denis Baupin C'est nous qui sommes indécents ?

Olivier Truchot (BFM TV) : On vous juge un peu indécents d'avoir tapé si fort contre le nucléaire français.

Denis Baupin Ça fait trente ans que nous disons que, en effet. ..

Olivier Truchot (BFM TV) : La France n'est pas responsable de ce qui se passe au Japon, on a l'impression, à vous entendre, que finalement l'Etat français serait responsable de ce qui se passe au Japon.

Denis Baupin Moi, je constate que madame MERKEL en Allemagne, que les Suisses, que les Belges, que même les Chinois aujourd'hui disent, au vu de ce qui se passe, en effet, il faut réduire les risques par rapport au nucléaire. En France, on ne le fait pas. Est-ce que tous ces gens sont des gens indécents et que simplement il n'y aurait que les pro-nucléaires français qui seraient. ..

Jean-Yves Le Deaut : Non, non, on dit la même chose, réduire les risques par rapport au nucléaire, je le dis comme vous. Réduire les risques, je le dis comme vous ...

Denis Baupin Réduire les risques, ça veut dire arrêter de construire de nouveaux réacteurs, il ne faut pas relancer une nouvelle génération.

Olivier Truchot (BFM TV) : Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET a annoncé, et d'ailleurs suivi la proposition socialiste, à savoir contrôler, faire un audit des centrales nucléaires.

Alain Marschall (BFM TV) : Il y en a plus de 1 000 par an quand même...

Denis Baupin  Comment il va se faire cet audit ? Est-ce que ça va être un audit contradictoire ? Est-ce que, dans cet audit, on va permettre que des gens qui, jusque-là, n'ont pas accès à l'information puissent y aller et que...

Alain Marschall (BFM TV) : C'est-à-dire que vous aimeriez que vous, avec vos experts nucléaires, vous puissiez aller inspecter les centrales nucléaires ...

Denis Baupin  Si c'est pour que ce soit les mêmes qui fassent les mêmes audits qu'avant et qu'une fois qu'ils disent que dans 34 réacteurs, le système de sécurité ne fonctionne pas et que rien ne se passe...

Jean-Yves Le Deaut : Moi, je suis d'accord que...

Denis Baupin Et que rien ne se passe, monsieur LE DEAUT, qu'est-ce qui s'est passé quand l'Autorité de sûreté a dit que sur 34 réacteurs, il y a des problèmes sur les circuits de refroidissement ? Rien. Monsieur LE DEAUT, une fois que monsieur LACOSTE a dit, il Y a un mois, qu'il y avait des problèmes sur les circuits de refroidissement de 34 réacteurs en France, qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Rien. Rien. Il n'y a eu aucun changement, on n'a pas averti la population ...

Jean-Yves Le Deaut : Je pense que c'est une des questions majeures qu'on doit examiner de toute urgence.

Denis Baupin En France, on ne fait vraiment pas tout ce qu'il faut pour assurer la sécurité.

Alain Marschall (BFM TV) : Messieurs, merci d'avoir été avec nous.