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Anne Lauvergeon, patronne d'Areva, était l'invitée de France Inter ce matin 12 novembre. Elle s'y est montrée brillante comme souvent -surtout quand il n'y a pas de contradiction- prônant la responsabilité, la raison, la transparence, appelant de ses vœux un large débat public, même si dans la réalité elle l'escamote constamment. Une artiste de la communication et de la désinformation...Les dérèglements climatiques et les tensions croissantes sur le marché pétrolier seraient des arguments imparables pour relancer le nucléaire, d'autant plus imparables qu'ils sont assénés à coups de campagnes massives de publicité dans tous les médias.




Le nucléaire serait LA solution. Cela justifierait alors aisément que contrairement à la feuille de route énergétique du Grenelle de l'environnement qui mise en priorité sur les économies d'énergie et les renouvelables, le président de la République ait décidé seul, sans que le ministre de l'énergie, la direction d'eDF ou la direction de l'énergie n'en aient été avertis, la construction d'un second réacteur EPR pour 2017. La veille de cette annonce, eDF indiquait qu'elle n'en avait pas besoin !




Dans ce combat nucléaire où les Français sont très isolés, Anne Lauvergeon a donc trouvé un allié de taille avec Nicolas Sarkozy. « Je veux un homme qui a le pouvoir nucléaire » aurait déclaré Carla Bruni avant son mariage avec le président de la République. Sur ce point la lune est de miel : c'est à un véritable sarkothon nucléaire que nous assistons depuis 18 mois. Pas un voyage officiel sans tenter de glisser sur ou sous la table un accord de coopération, une promesse de vente, la perspective de partenariat. Peu importe la réalité des chantiers envisagés ou la rentabilité des contrats, seules comptent la banalisation du nucléaire et la perception de sa renaissance. Tous les arguments sont bons : les changements climatiques, le pouvoir d'achat, la confrontation entre l'Islam et l'Occident... Même s'il est probable que le président Sarkozy ne parviendra pas à inverser la tendance à la réduction du nombre de réacteurs nucléaires en service dans le monde, il n'en reste pas moins que cette diplomatie très volontariste est irresponsable à plusieurs égards.





Trop tard pour lutter contre les changements climatiques. Le nucléaire ne représente que 2% de la consommation finale d'énergie au niveau mondial. Doubler la production nucléaire d'ici 2050 ne réduirait que de 5% nos émissions de gaz à effet de serre. C'est beaucoup trop peu et surtout trop tard alors qu'il faut réduire nos émissions de 30% dès 2020. C'est d'ailleurs Al Gore qui, en tant que vice-président des Etats-Unis, contribua à ce que l'énergie nucléaire soit rejetée comme solution à la crise climatique dans le protocole de Kyoto. En outre, les réserves d'uranium sont estimées à 70 ans environ au rythme de consommation actuelle. L'adoption par tous les pays industriels du modèle français (le nucléaire fournit 80% de l'électricité, soit 16% de nos besoins énergétiques) épuiserait les réserves d'uranium en 10 ans. Tout ceci sans remettre en cause les sources majeures d'émissions de CO2, les transports et le bâtiment, dans lequel d'ailleurs l'usage de l'électricité est une aberration énergétique et sociale !





Plusieurs scénarios énergétiques à l'horizon 2050, horizon auquel nous devrons avoir réduit par 4 nos émissions de gaz à effet de serre, démontrent que 50% des réductions peuvent provenir des économies d'énergie. Il serait inconcevable qu'une grande partie des investissements disponibles soient détournés de cet objectif prioritaire, plus facile, plus rapide et beaucoup moins cher à réaliser. En fait, la politique énergétique française menée depuis 30 ans a conduit à une double dépendance, nucléaire et pétrolière. Car le nucléaire nous a pas fait économiser une seule goutte de pétrole : un Français en consomme autant que ses voisins européens.





Trop cher, économiquement et socialement. Le nucléaire coûte cher, notamment du fait des coûts de construction et des coûts liés à la gestion des déchets et du démantèlement qui reposent sur la collectivité. Cette situation fait de l'industrie nucléaire une industrie unique au monde, la seule, avec l'armement, à ne pas devoir justifier de sa rationalité économique ou d'une quelconque rentabilité. En Grande-Bretagne, le coût du démantèlement des 19 centrales les plus anciennes est finalement assumé par l'Etat, condition à la privatisation de British Energy et à son rachat par eDF . Il s'élèverait déjà à 73 milliards de livres (91 milliards d'euros). L'exemple de la construction de l'EPR en Finlande confirme le dépassement systématique et considérable des délais et des coûts annoncés de construction. Vendu 3,3 milliards d'euros, le chantier de l'EPR en Finlande débuté il y a près de trois ans accuse déjà un retard de 3 ans et un surcoût d'au moins 2,5 milliards d'euros, que les Français paieront, d'une manière ou d'une autre. Les problèmes déjà rencontrés par le chantier de l'EPR à Flamanville laissent présager une situation analogue. Envisageant la construction de 4 EPR en Grande-Bretagne, le patron d'eDF annonçait il y a quelques semaines une facture de 25 à 30 milliards d'euros, soit autour de 7 milliards l'unité !





Le choix du nucléaire génère d'autres coûts économiques et notamment le retard pris dans le développement industriel des filières renouvelables. Leader en Europe jusqu'au milieu des années 80, le pari nucléaire a mis la France loin derrière ses partenaires européens en matière d'industrie des renouvelables et l'oblige à importer une grande partie de ses équipements. Entre 2000 et 2007, l'éolien a représenté à lui seul en Europe près de la moitié des nouvelles capacités de production électrique installées, contre 1% pour le nucléaire. Et les marchés des renouvelables progressent à un rythme de 20 à 30% de croissance annuelle. En dépit de son insignifiance au regard de la crise climatique, on comprend l'usage qui est fait de l'argument climatique pour tenter de légitimer son financement public. C'est l'absence de financement public qui a entraîné l'échec du projet de construction d'une centrale en Turquie. Le questionnement d'Obama sur ce point pourrait être la clé de l'arrêt des projets discutés aux Etats-Unis.





Mauvais pari industriel, le nucléaire est aussi un mauvais pari social. Les filières des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique sont beaucoup plus intensives en emplois que le nucléaire. Ce sont déjà 250 000 emplois, qualifiés et décentralisés, qui ont été créés en Allemagne dans le secteur des énergies renouvelables, alors que l'emploi en France dans le nucléaire stagne autour de 50000. Une étude démontre qu'avec les 3 milliards d'euros prévus pour l'EPR de Flamanville, on aurait pu créer 2,3 fois plus d'électricité et 5 fois plus d'emplois en investissant dans l'éolien. Le « différentiel social et énergétique » est encore plus élevé dans les économies d'énergie. Le Rocky Mountain Institute a évalué qu'un euro investi dans l'efficacité permet d'économiser 7 fois plus d'énergie que ne peut en produire un euro investi dans le nucléaire. L'expérience française de la fin des années 70 début des années 80, avant que le nucléaire résume la politique énergétique française, concluait lui sur un rapport de 1 à 4 (100 milliards de francs pur 39 Mtep économisés contre 500 milliards dans le nucléaire pour produire 56Mtep). En France, un plan d'isolation des bâtiments construits avant 1975 permettrait de réduire par 4 les consommations -et donc les dépenses- de chauffage et créerait 120 000 emplois sur les 20 prochaines années. C'est un engagement que nous avons obtenu dans le Grenelle. Le manque de capacités d'investissements de l'Etat pourrait remettre en cause une telle opportunité.





Poursuivre en France l'investissement sur le nucléaire c'est enfin renforcer notre double dépendance, nucléaire pour l'électricité, pétrolière pour les transports, en supprimant les moyens d'économiser l'énergie. Avec une facture énergétique de 50 milliards d'euros en 2007 (soit environ 2000 euros par ménage), qui risque de s'envoler dans les années à venir, la France doit faire des économies d'énergie sa nouvelle "obsession".





Le nucléaire est incompatible avec la transparence, la démocratie et la paix. Il n'existe qu'une technologie nucléaire et deux usages, civil et militaire. Les exemples sont malheureusement trop nombreux d'une utilisation militaire du nucléaire civil (Inde, Pakistan, Iran...). La physique a ses lois : le nucléaire civil utilise de l'uranium enrichi et produit du plutonium, les deux ingrédients possibles du nucléaire militaire. L'AIEA le rappelle régulièrement, la distinction entre nucléaire militaire et civil est illusoire. Le « sarkothon nucléaire », de Flamanville à Tripoli, est donc très « proliférant ». Au-delà de l'aberration que représenterait l'investissement dans une filière nucléaire de la part de pays pourvus d'un incroyable potentiel en énergies renouvelables, Sarkozy reste sourd aux avertissements des Nations unies ou de pays comme l'Allemagne sur les risques de prolifération d'une telle diplomatie. On est bien loin de l'engagement du candidat Sarkozy lors de la campagne électorale : « S'agissant [du] développement de projets de nucléaire civil dans le monde, j'y suis favorable avec évidement la nécessité de ne collaborer qu'avec des régimes parfaitement démocratiques et selon des règles strictes d'administration » (courrier du 18 avril 2007 à l'AEPN).





Les risques intrinsèques au nucléaire demeurent et augmentent, à mesure que se dissémine la technologie. Et malgré quarante ans de promesses, il n'existe toujours aucune solution au problème des déchets, capable de protéger les générations futures contre des risques majeurs de pollution et de prolifération. « Grâce au retraitement, Areva « recycle » 96% des combustibles usés » déclarait encore ce 12 novembre Anne Lauvergeon. Areva retraite certes « contractuellement » les deux tiers des déchets nucléaires produits par les centrales d'EDF. Elle en extrait le 1% de plutonium, soit à peu près 10 tonnes par an, qui viennent accroître les stocks détenus à La Hague (entre 70 et 80 tonnes) ou servent à fabriquer du nouveau combustible, le MOX, un mélange d'oxydes de plutonium et d'uranium. Mais cette industrie du plutonium comporte des risques considérables, et largement ignorés, de prolifération nucléaire : 6 à 10 kilos suffisent pour faire une bombe de type Nagasaki. Pour le reste, les 95% restant d'uranium irradié, rien n'est réutilisée dans nos centrales. EDF a même provisionné dans ses comptes 250 ans de stockage pour cet uranium de retraitement.





« La quatrième génération de réacteurs et la fusion vont apporter les solutions à tous les problèmes de risques, de déchets et d'approvisionnement auxquels le nucléaire est aujourd'hui confronté » nous rétorquerait madame Lauvergeon. Les utopies technologiques, comme les utopies idéologiques, s'affranchissent par définition des contraintes démocratiques, scientifiques et économiques. Mais les enjeux climatiques nous imposent d'agir dans les 10 ans qui viennent. Ceux du pétrole dans les deux ou trois décennies à venir. Les hypothétiques solutions pour la fin du siècle ne peuvent sérieusement guider les arbitrages politiques et financiers actuels.





D'autres scenarii énergétiques existent, développés par les meilleurs centres de recherche, par Négawatt, par l'agence aérospatiale allemande, en lien avec les grandes ONG internationales, Greenpeace, WWF et les Amis de la Terre. Tous démontrent qu'on peut faire face au défi climatique, sortir de la crise énergétique et donner enfin accès à l'électricité aux deux milliards de personnes qui en sont dépourvues grâce à une révolution énergétique fondée sur les économies d'énergie et les énergies renouvelables. Sans recours au nucléaire. L'avenir énergétique peut donc être propre et pacifique. C'est cet avenir que nous défendrons lors des prochaines élections européennes.





par Yannick Jadot, le 12 novembre 2008 sur le site www.europeecologie.fr


Tag(s) : #Nucléaire
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