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article cecile-duflotInterview par David Doucet, Anne Laffeter et Marion Mourgue sur www.lesinrocks.com

 

Volontariste, la ministre du Logement souhaite faire voter une loi ambitieuse en 2013. En aura-t-elle les moyens politiques et économiques ?

 

Beaucoup de familles françaises consacrent la moitié de leur budget au logement. Ne pas en avoir pèse sur la réinsertion et rend difficile la recherche d’emploi. Les problèmes de logement ont un impact sur la santé, l’emploi ou le pouvoir d’achat. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux que le Président en fasse une priorité nationale ?

 

Bien sûr, c’est une cause commune décisive, mais à la place des grandes phrases sur le logement je préfère l’action. Il y a pénurie, nous devons construire de nouveaux logements. Il faut développer le logement accompagné et créer de nouvelles places d’hébergement d’urgence. Sur toutes ces questions, nous collaborons étroitement avec les associations qui sont sur le terrain. La question du loyer est à prendre en compte. Le décret voté cet été pour encadrer les loyers à la relocation est une première réponse, mise en oeuvre sur la base de la loi actuelle, qui date de 1989. C’est une mesure que tous les gouvernements successifs depuis 1989 auraient dû prendre. Je veux aller plus loin, pour encadrer les loyers et les faire baisser dans les zones les plus tendues. J’y travaille, je présenterai un projet de loi au premier semestre 2013. Ma priorité est de m’occuper de tous les sujets laissés en jachère pour débloquer la chaîne du logement.

 

Mais en faire une cause nationale ne permettrait-il pas de sanctuariser votre budget ?

 

J’ai un budget sanctuarisé sans que l’on ait eu besoin de monter au créneau. On a 9,8 milliards d’euros en 2013 (+ 20 % par rapport à 2012). On n’a pas simplement dit “il nous faut de l’argent”, on a expliqué ce que l’on ferait avec. Les engagements du président de la République et du Premier ministre dans le discours de politique générale ont été très forts : aider à construire 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux. C’est en soi un engagement très important même si ça n’épuise pas la question. Faut-il aller plus loin que des engagements financiers ? C’est possible. Certains parlent même de mettre dans la Constitution le droit au logement. C’est une hypothèse que je n’écarte pas.

 

L’objectif du gouvernement est de construire 150 000 logements sociaux par an. Or, plusieurs acteurs du logement estiment qu’il manque un milliard d’euros pour y parvenir.

 

Aujourd’hui, les moyens mobilisés tant en aide de la part de l’État, des collectivités locales, de la mobilisation exceptionnelle d’accès au logement, de la Caisse des dépôts et la mutualisation des fonds propres des opérateurs HLM permettent de réaliser ces 150 000 logements. On a mis en place un système suffisant pour les financer. Nous y participons avec la mobilisation du foncier public, qui va représenter un apport en nature pour équilibrer ces opérations. Mais il faut aussi une mobilisation plus large sur ces questions foncières car c’est le noeud gordien du logement locatif social. Ça peut atteindre 40 à 50 % du prix de revient d’une opération. C’est très important. Les organismes HLM doivent mutualiser leurs fonds propres pour avoir une vraie solidarité territoriale.

 

Vous avez fait passer l’obligation de construction de logements sociaux de 20 % à 25 %. Toutes les communes jouent-elles le jeu dans le cadre de la loi SRU ?

 

Il y a quelques maires réfractaires qui traînent les pieds mais ce n’est pas la majorité. Pour ces élus qui refusent la mixité sociale et se mettent volontairement hors la loi, les mesures de dissuasion antérieures n’étaient pas assez fortes. Ils vont bientôt devoir payer des pénalités cinq fois supérieures à ce que la loi SRU prévoyait au départ. L’ancienne loi SRU laissait aussi des échappatoires aux maires qui voulaient décaler dans le temps leurs obligations. Aujourd’hui, elles n’existent plus. En 2025, le taux de 25 % de logements sociaux sera la loi partout et pour tous.

 

Un amendement au Sénat au sujet de la TVA sur le logement social a fait parler de lui. Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, s’est opposé à un amendement déposé par la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann en vue d’abaisser de nouveau la TVA sur le logement social de 7 à 5,5 %. N’y a-t-il pas un problème de cohérence entre l’ambition du ministère du Logement et la politique menée par Bercy ?

 

Il y a un vrai souci. Je ne vais pas vous mentir. Il est certain que les organismes de logements sociaux ne récupèrent pas la TVA. Elle pèse intégralement dans le prix de revient des opérations. Tout le monde en est conscient. Et Jérôme Cahuzac le premier. Il a été maire, il est sensibilisé à la question. On va poursuivre la discussion car les opérateurs ne peuvent pas répercuter autrement l’augmentation de la TVA que dans le prix du logement. Il faut se souvenir que c’est le gouvernement Sarkozy qui a fait passer la TVA de 5,5 à 7 %. Après, le Premier ministre l’a dit lui-même, les choses sont en discussion. On pourrait imaginer que le logement est un bien de première nécessité, y compris sur le plan de la TVA. Il faut faire feu de tout bois en matière de logement parce qu’un toit c’est un droit. On ne peut laisser personne à la rue.

 

Au printemps dernier, vous avez annoncé qu’on ne fermerait pas les places de l’hébergement d’urgence ouvertes pendant la période hivernale. Pourtant, un mois après, elles fermaient faute de moyens. Qu’en sera-t-il au printemps prochain ?

 

Elles ont fermé partiellement. Je ne suis pas la seule à avoir affirmé cette priorité. Le Premier ministre aussi. L’idée est de sortir d’une gestion au thermomètre. C’est long et laborieux parce que l’hébergement d’urgence dépend pour une large part aujourd’hui de l’hébergement en hôtel, qui est très coûteux. On peut réussir à trouver des dispositifs pérennes à coût constant mais il faut la mobilisation de tous les acteurs et un travail de longue haleine. Ça ne pourra pas se faire en claquant des doigts. Cet objectif a été réaffirmé par le Premier ministre. Il est en cours de discussion. Les associations ont formulé à ce sujet des propositions claires et ce sera un enjeu de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté des 10 et 11 décembre. Le gouvernement fait des efforts financiers importants et le budget de l’hébergement a déjà nettement augmenté pour 2013.

 

Vous penchez plutôt pour la construction de nouveaux foyers ou de logements pérennes ?

 

En matière d’hébergement, il y a deux obstacles. Première difficulté, la sortie des lieux d’hébergement vers du logement classique. C’est-à-dire un logement avec un accompagnement social qui permet de soutenir les personnes plus fragiles, dont la candidature peut être plus difficile à retenir pour les bailleurs. Deuxième difficulté, il faut des offres de logement qui ressemblent davantage à des centres d’accueil plutôt qu’à des hébergements en hôtel. Héberger des familles à l’hôtel est une très mauvaise idée car c’est très déstructurant. C’est souvent loin du lieu de scolarisation des enfants et compliqué pour maintenir une alimentation de qualité pour eux. Enfin, il faut agir contre les marchands de sommeil. Les collectivités locales sont souvent très démunies contre les profiteurs de la misère. Même déterminées, elles n’ont pas les outils juridiques pour les attaquer. Il faut donc un dispositif légal pour empêcher ceux qui veulent prospérer sur la misère humaine. Ce sera dans la loi du premier semestre. Tout le monde sait ce qu’est un marchand de sommeil mais ce n’est pas une qualification juridique.

 

Cet été, vous avez fait des déclarations contre les expulsions sans solution de relogement. Or, Manuel Valls a autorisé l’expulsion de Roms sans que des solutions soient au préalable proposées.

 

Une décision a été prise dans le cadre d’une réunion interministérielle avec une instruction envoyée à l’ensemble des préfets qui dit clairement la politique du gouvernement dans son ensemble : qu’il n’y ait aucun démantèlement qui ne soit précédé d’un travail approfondi pour engager le relogement dans des lieux type village d’insertion des personnes concernées. Voilà la politique du gouvernement français aujourd’hui, voilà ce qui doit être mis en oeuvre. Et ça se passe en bon ordre.

 

Et quand ça ne se passe pas en bon ordre, c’est qu’il y a une mauvaise interprétation des textes ?

 

Le texte est très précis et très clair.

 

Vous avez appris un langage policé…

 

Avant je n’étais pas ministre. Mais je garde ma spécificité. Je peux vous dire qu’aucun autre à ma place n’aurait parlé comme je viens de parler sur tant de sujets. Je garde ce ton. Je sais quelle est ma fonction mais je sais aussi quelle est la raison pour laquelle je suis là et la politique que nous menons.

 

Où se situe la ligne jaune entre vos convictions et la solidarité gouvernementale ?

 

J’agis tous les jours en fonction de mes convictions, dans ce gouvernement comme auparavant. La première d’entre elles est que mon rôle est de faire bouger les lignes et de changer la réalité de la vie des gens. Il n’y a pas une ligne jaune décrétée a priori, c’est l’expérience quotidienne qui permet de juger et donner du sens à mon action.

 

Sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

 

Mon désaccord avec ce projet est connu. Ce n’est pas un mystère et je l’ai dit à chaque fois que l’on m’interrogeait. Mais mon utilité sur ce dossier, comme sur d’autres, n’est pas de proclamer.

 

Au bout de six mois d’exercice, quel regard portez-vous sur votre travail de ministre ?

 

J’aimerais que ça avance encore plus vite et d’ores et déjà résoudre les problèmes de ces gens, lancer les chantiers de construction. Mais j’ai appris qu’aller trop vite peut revenir dans les gencives (le projet de loi Duflot sur le logement social a été retoqué en octobre dernier par le Conseil constitutionnel pour un problème de procédure – ndlr). Je souhaite donc qu’on aille avec détermination et surtout beaucoup de précision. Il faut prendre à bras-le-corps des dossiers juridiques qui ne sont pas forcément très glamour, très visibles comme la question des marchands de sommeil mais avec ça on fera avancer les choses. Le président de la République et le Premier ministre, au-delà des formules, soutiennent cette politique. Je pense qu’ils sont conscients de l’importance que revêt le logement dans la vie quotidienne et de l’impact concret qu’il a sur le budget des ménages.

 

Vous faites partie d’une “bande des quatre” avec Christiane Taubira, François Lamy et Kader Arif… Vous sentez-vous obligée de vous rapprocher d’autres ministres pour faire avancer vos dossiers ?

 

Ce qui nous caractérise tous les quatre, c’est d’aimer la discussion politique, de pouvoir la partager. S’il y a des affinités avec les uns et les autres, c’est la vie. Je vous laisse faire toutes les interprétations que vous voulez. Il n’y a pas d’organisation secrète et je travaille aussi très bien avec Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée à la Lutte contre l’exclusion. On travaille main dans la main sur un certain nombre de dossiers. Comme avec Valérie Fourneyron, ministre des Sports. Le logement est un sujet pivot. Ma place est d’être ministre et de prouver que les choses avancent avec une orientation politique qui est la nôtre : volontariste, sans doute en rupture avec ce qui s’est fait avant. Il faut une grande diversité de réponses. Faire en sorte, par une incitation fiscale, d’orienter une partie de l’épargne vers l’investissement locatif, y compris en créant des logements intermédiaires entre le logement social et le logement privé. Ensuite ça se décline avec beaucoup de pragmatisme. Raison pour laquelle j’inscris mon action dans la durée. Les résultats, on les voit trois ans après.

 

Tag(s) : #Logement
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