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logo_nmamere.pngLa dernière provocation de Marine Le Pen fait évidemment le « buzz » du week-end. Engagée dans une campagne pour la direction du parti, la fille du fondateur du FN reprend les vieilles ficelles du père en les adaptant au goût du jour. Les musulmans succèdent aux juifs et on reprend à l’envers la ritournelle de l’Occupation où les immigrés deviennent les nazis paradant dans nos rues. Cette image grotesque est pourtant efficace, car elle fournit une réponse facile au désarroi de millions de gens plongés dans l’insécurité sociale, victimes du déclassement, qui ne se reconnaissent plus dans une société où, sans argent, vous ne valez plus rien, où l’ennemi devient votre voisin faute de s’identifier à un espoir d’émancipation collectif. Cette sortie n’est donc pas seulement liée aux enjeux internes du Front National ; le Front cherche à surfer sur une thématique qui traverse toute la société française : l’islamophobie.

 

 

Dès l’été dernier, les apéros « saucisson - vin rouge » de « Riposte laïque », annonçaient cette nouvelle prise d’otage ethnique par l’extrême droite française. « Riposte laïque » est animée par Pierre Cassen, un ancien trotskyste, elle regroupe des ex-militants de gauche qui ont dérivé vers l’extrême droite à partir de positions intégristes qui n’ont plus de laïques que le nom. Cette dérive, de type doriotiste, est identique à celle du « Bloc Identitaire », émanation du FN. Ces gens appellent le 18 décembre, à Paris, à des « Assises internationales contre l’islamisation » ! Ce regroupement autour de l’identité française n’a pas échappé à Marine Le Pen qui tient à moderniser le FN tout en lui conservant un socle idéologique apte à aimanter une partie de la population en manque de sens. De fait, l’islamophobie est un terrain qui lui permet de faire son marché électoral.

 

 

L’islam, seconde religion de France, n’a pas bonne presse. Depuis le 11 septembre 2001, les amalgames se sont multipliés : des guerres d’Afghanistan et d’Irak, aux débats instrumentalisés sur le voile et la burqua, en passant par l’identité nationale, les restaurants Quick hallal et les minarets... Pas une semaine sans que les arabo-musulmans ne fassent la une de l’actualité, transformés en boucs émissaires, otages de débats politique franco- français. Dans le reste de l’Europe, de la Suisse aux Pays-Bas, la même situation permet au national-populisme de se construire comme une alternative fondée sur le ressentiment et la haine de l’autre.

 

 

Certes, nous avons connu des périodes de rémission, par exemple, durant le mouvement social sur les retraites, ou au plus fort de l’affaire Woerth-Bettencourt, mais comme par hasard, sous un prétexte ou un autre, le poison de l’islamophobie revient, à travers une petite phrase, un fait divers, une information venant de l’étranger, une blague... Contrairement à l’antisémitisme, la parole islamophobe est banalisée, considérée comme « normale ». Rappelez vous Hortefeux, pourtant condamné en première instance pour son « Quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a plusieurs... » Comme si l’islamophobie était devenue une sorte de thermomètre de la vie politique française. De fait, la chasse à l’arabo-musulman est facile, pas chère et rapporte gros à ceux qui l’utilisent.

 

 

Dans l’imaginaire collectif, l’histoire coloniale, la guerre d’Algérie, les bidonvilles, les mosquées, le terrorisme, la situation israëlo-palestinienne, les pratiques religieuses comme l’abattage du mouton, le droit des femmes, les révoltes des jeunes des cités, la délinquance au quotidien, se mélangent dans un magma informe où, sans distinction aucune, les amalgames les plus outranciers apparaissent comme des vérités, des évidences qui s’installent dans les têtes, en particulier celles des classes populaires. Depuis quelques années, des discours intellectuels, sous leur vernis de « sachants », mettent en forme et cautionnent ces fantasmes que les politiques traduisent en orientations, en débat, voire en lois.

 

 

Cette guerre des civilisations est d’abord une guerre sémantique, où les mots sont plus importants que les analyses, où les slogans priment les arguments, où les caricatures remplacent les mitraillettes mais font plus de mal à terme. Toutes les recettes ont été expérimentées contre ce poison xénophobe, mais le recul de l’islamophobie n’a pas encore eu lieu. Bien sûr, plus la crise économique et sociale est grande, plus le chômage croit, plus la peste se répand. On le sait depuis des lustres. Mais depuis la « glocalisation », cette forme nouvelle de gouvernance où les frontières n’existent plus, on assiste à une accélération du phénomène identitaire. Et se développe le sentiment que l’Europe, faute d’une construction politique, est en recul sur tous les fronts, qu’elle devient un continent marginalisé par rapport à la « Chine-Amérique » et à d’autres pays émergents.

 

 

Dans cette Europe en crise, où le christianisme a été recouvert par le marché, prospère un besoin de reconstruction néo-archaïque de l’histoire. Et revient la question d’une nouvelle croisade qui pourrait bouter les musulmans hors de cette vieille Europe en quête de sens pour lui redonner force et vigueur.

 

 

A cette aune là, la pédagogie patiente de la raison ne peut rien opposer. La seule réplique qui vaille est celle de la refondation d’un imaginaire culturel. A ceux qui s’effraient devant la montée des communautarismes, il faut proposer une république à la fois européenne et universelle, où l’intérêt général de la planète et des générations futures menacées par notre court-termisme, s’impose aux intérêts particuliers, où la valorisation des cultures diasporiques, de la mixité sociale et ethnique cassent la ghettoïsation des cultures. Le problème de la gauche et de ces « think-tanks » est qu’elle ne travaille pas sur l’imaginaire collectif mais sur les seules solutions provenant de la réalité rationalisante. Elle propose des solutions gestionnaires et souvent économistes sans produire de l’idéologie.

 

 

Or la question de l’imaginaire est la mère des batailles : Si vous ne convainquez pas les cœurs, vous aurez beau parler, vous ne serez pas audibles. Le Front, lui, n’a pas ces fausses pudeurs, il a compris que l’islamophobie est un néo-racisme qui amalgame la notion de race à celle de différenciation culturelle. Derrière le mot, c’est le retour à une Europe blanche, pure, protégée de la contamination culturelle, une Europe qui n’a jamais existé que dans l’imagination des eugénistes et des racistes de tout poil.

 

 

Le pari de la PME Le Pen c’est que la souffrance sociale prend la forme de l’identité et que des millions de personnes désemparées s’emparent de cette illusion. La clef de l’élection présidentielle de 2012 est plus dans la réponse à ce projet que dans le spectacle des primaires du PS. Les deux défaites de la gauche, à Corbeil-Essonne et à Noisy-le-Sec, viennent de l’illustrer. Les abstentionnistes et la droite affairiste reprennent le manche. La lepénisation rampante structure désormais l’agenda politique du pays.

 

 

Noël Mamère, le 13 décembre 2010

 

 

PS/1. Cancun. Une fois de plus, la communication rassurante nous fait penser que le verre est à demi plein alors qu’il est au trois quart vide. Laissons les choses se décanter pour voir si les conclusions du sommet climatique sont, comme le disent les délégués des pays émergents et industrialisés ou ceux des ONG, une remise du processus sur les rails ou, un nouvel échec, simplement mieux relooké qu’à Copenhague, comme le disent ceux de la Bolivie et du contre-sommet de Cochabamba. Il est trop tôt pour l’affirmer aujourd’hui, parce que les engagements financiers doivent se traduire dans les faits. Jusqu’ici, ils n’ont jamais été confirmés, comme l’Aide publique au développement.

 

 

PS/2. Brice Hortefeux est décidément un candidat permanent au braconnage sur les terres du Front National. Une nouvelle fois, il se livre à une attaque en règle contre les magistrats en prenant fait et cause pour des policiers faussaires justement condamnés à des peines de prison ferme. Cette nouvelle attaque contre le supposé laxisme des juges n’a pour autre objet que de capter les voix qui s’échappent vers le Front. A force de remettre en cause la séparation des pouvoirs, Sarkozy et ses porte-flingues mettent la démocratie en danger. Ils le devront le payer au prix fort dans les urnes.

Tag(s) : #actualités nationales
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